J’écris ce billet  spontanée en réponse à un texte de Martin Lessard (dont j’aime ses réflexions) intitulé « Le démocratie représentative est obsolète« . Avant de lire son texte, détrompez-vous dès maintenant; Martin ne prétends pas l’obsolescence de la démocratie représentative, mais pose une série de questions pertinentes. En voici l’essence:

« Les médias sociaux pour refaire fleurir la démocratie? […] Mais est-ce que le déploiement à grande échelle dans la société (participation directe) possède les mêmes attraits, ou serait-ce seulement de nouveaux habits?  On sait que les médias sociaux influencent la vie politique. Le «franc-parler» des médias sociaux est une chose, mais gère-t-on une société à coup de «like»? Les événements montrent que c’est ensuite sur le terrain que ça se passe. Mais l’un ne va plus sans l’autre. À quoi ressemblerait une sortie de la démocratie représentative qui prendrait en compte la culture des réseaux? Si vous avez des pistes, n’hésitez pas. « 

En amont, Martin, j’espère que ça produira une discussion fort intéressante… voici ce que j’en pense.

La connexion + l’information « brute » = l’authenticité

« la tâche des vrais démocrates est de voir à ce que le peuple soit de plus en plus au courant, instruit et renseigné sur ses propres intérêts » – René Lévesque

Certainement, aujourd’hui, notre connectivité nous rend tous des démocrates, pour reprendre cette citation. Nous nous informons plus facilement, plus rapidement et plus librement. Nos sources d’informations ne sont plus que les médias « broadcast » traditionnels, ancrés dans leur monologue, mais s’étendent aux journalistes-citoyens, centres de recherches, agences gouvernementales, associations, etc. Nous sommes dans un paradigme de dialogue, de co-création du contenu. L’information « brute » largement accessible grâce aux plateformes numériques nous permet de faire beaucoup plus…

La conséquence directe se résume bien, à mon avis, dans la loi de Haque: « In a hyperconnected world, where information flows much faster and more freely, the cost of evil explodes ». J’irai plus loin que l’idée du « coût du mal » en incluant le coût de la fausseté. Dans un univers de connexions et d’information, les grandes campagnes de « branding » politique, les spins et autres phrases creuses perdent de leur traction au sein d’une population apte à aller au-delà des facades. Nous recherchons davantage d’authenticité car elle devient plus facilement accessible.

Le marketing politique (et les relations publiques de façon plus large) a structuré nos démocraties depuis le début du siècle. Heureusement, l’ère numérique (dont les médias sociaux sont un produit) nous amène au-delà…il faut simplement exiger l’authenticité et la transparence de nos décideurs !!

La collaboration citoyens-représentants

« Citizens are connected like never before and have the skill sets and passion to solve problems affecting them locally as well as nationally. » Tim O’Reilly

Les wikipedias de ce monde nous démontrent qu’il est possible de créer des outils d’énormes valeurs grâce à la collaboration de masse. Du moment où un large groupe d’individus partage les mêmes intérêts ou aspirations, il est en mesure de se concerter, de se trouver des normes de pratiques communes et, en peu de temps, produire l’action concrète « sur le terrain » dont tu parles avec raison. Des initiatives dont Open Architecture Network, Zopa et des milliers d’autres sont de belles illustrations du pouvoir d’une collaboration massive.

Pour reprendre ta question « gère-t-on une société à coup de «like»? « … la gérer, non (du moins, pas pour l’instant), mais en décider la direction ? Certainement ! Quelle est la différence entre un « X » aux 4 ans et un « like » typique des réseaux sociaux ? Le premier n’est qu’un chèque en blanc tandis que le deuxième offre une rétro-action soutenue et constante sur une panoplie de sujets, d’attribution de fonds publiques, etc. !! Les représentants (lobbying de tout genre) ne sont plus les seuls à offrir une expertise et une voix. L’ère numérique retire les barrières de l’accessibilité.

Alors comment canalisons-nous l’expertise, la compétence et les connaissances individuelles dans une méthode, un mécanisme qui peut produire un organisme « intelligent », capable de jouer un rôle crucial dans la gouvernance publique ? Une exploration théorique s’est fait par Vincent Olivier lorsque nous avons travaillé sur une possible Chambre basse virtuelle. Chose certaine, nombreux ouvrages démontrent le potentiel d’une telle collaboration ouverte. À LIRE: Shrirky et Surowiecki

Cette ouverture vers la contribution des citoyens dans la prise de décision pourrait leur donner un sentiment d’engagement puissant sur lequel une nouvelle culture collaborative peut se construire. Cette culture peut graduellement valoriser des milliers de citoyens à informer les décideurs (par un simple « like » ou par la transmission de liens, de rapports, etc.), s’informer adéquatemment de leurs décisions, s’approprier les décisions prises pour agir concrètement sur leur communauté et même permettre du « crowdsourcing » pour la mise en application des programmes.

Évidemment, on peut en dire beaucoup plus…

Comment diriger cette innovation ?

je me limiterai simplement à conclure avec cette idée: les réseaux sociaux ne sont que la pointe de l’Iceberg d’une nouvelle démocratie. Nous connaissons déjà ce qui réside sous la surface pour naviguer intelligemment ce changement de paradigme. La question que je me pose est; où naviguer ? À même les institutions actuelles (partis politiques et ministères) ou en marge de celles-ci ? L’un est un gros paquebot lent tandis que l’autre créera certainement des cassures, des coupures profondes et souvent douloureuses… Qu’en penses-tu??

9 commentaires sur « La renaissance démocratique; une affaire de médias sociaux? »

  1. Brillante réplique! Deux points pour alimenter le débat:

    – La connexion + l’information « brute » = la _transparence_. Je crois que l’authenticité vient d’un autre processus et non pas de celui-ci (même si la transparence mène à elle).

    Ce point m’enchante complètement, théoriquement, car comme disait Umberto Eco, la manipulation peut se faire «à la Pravda» (assécher l’information) ou «à la NYTimes» (inonder d’information). Et à tout prendre, je choisis le NYTimes. Mais comme pour Wikipédia, il faut être nombreux (avoir une masse critique) pour que ça marche. Le tri et le filtrage de toute l’information demandent bcp de temps et d’énergie.

    Oui, l’accès à la matière brute est un bon point de départ. Mais pensons à Wikileaks, il nous faut creuser longtemps dans la « mine » pour trouver la pépite. Et il faut une compétence pour repérer une pépite. Former les citoyens au devoir de creuser son lot pour permettre «à ce que le peuple soit de plus en plus au courant, instruit et renseigné sur ses propres intérêts» devrait-il être le premier geste?

    – Le like vs le vote.

    L’idée de voter sur tout (ou presque), via des systèmes à la like, a son côté sombre (comme le vote au 4 ans): comment savoir qu’on vote en connaissance de cause et non sur une impulsion. L’opposition classique contre les démocraties directes a toujours été de dire que, si on demandait au peuple, il voudrait plus d’état et moins d’impôts. Ou voterait pour la peine de mort quand il y a un incident grave dans l’actualité et contre quand c’est calme. La question n’est pas si futile, et je bute sur elle depuis longtemps: si la décision prend du temps à murir (réflexion, débats, validation), comment la concilier avec le «temps réel»?

    1. Tu as probablement raison sur la question de la transparence. Elle mène à une culture d’authenticité. J’ai sauté une étape! 😉

      Former les citoyens au creusage d’information ? Certainement, mais ce ne sera pas notre système d’éducation qui le fera. Ce sera grâce à des réseaux parallèles où programmeurs (surtout, mais pas exclusivement) et chercheurs devront jouer ce rôle auprès des citoyens, des associations civiques et surtout, du personnel politique et ministériel.

      Le like vs le vote: t’as raison sur la question de la « frivolité » de l’opinion publique. Par contre, l’éducation civique (s’informer avant de décider) et la délibération publique se sont pas des acquis même chez nos décideurs actuels. Donc hisser les citoyens à un statut que nos politiciens n’atteignent même pas à la base est d’une certaine injustice. La frivolité est déjà très présente à en constater les sondages des dernières années. Elle influence le X aux 4 ans ou le « like ».
      « Change comes to those who show up » comme on dit. Donner l’accès à une prise de décision plus ouverte permet de développer la culture délibérative (en ligne et réelle). La facilité avec laquelle nous pouvons accéder à l’info se traduit dans cette culture. Il y a 50 ans, ton vote était beaucoup moins « informé » qu’aujourd’hui. Avec une citoyenneté plus éduquée et plus informée augmente la probabilité d’une prise de décision plus efficace (wisdom of crowd: http://en.wikipedia.org/wiki/The_Wisdom_of_Crowds). Pour répondre à ta question « si la décision prend du temps à murir, comment la concilier avec le «temps réel»? « , je te répondrais ; le temps devient une variable « compressée », dans le sens que chaque individu prend un certain temps (relativement court, j’en conviens), mais « l’organisme » qu’est la masse citoyenne maximise le temps de chaque réflexion, comme le feraient les neurones de notre cerveau. Ai-je du sens?? Je ne fais que pitcher mes idées 😉

      J’aime l’échange…je t’encourage à bâtir dessus…

  2. Pour bondir sur le dernier point: cet «organisme» composé de tous les citoyens (on est pas loin du «global brain») est déjà en place et déjà consulté: au 4 ans, avec un «X».

    Comme on sait, et on le voit de plus en plus, une élection ressemble à un choix aléatoire. D’une certaine façon, comme à la courte paille, c’est celui qui pige en dernier qui oriente tout le jeu: en démocratie parlementaire nominale à 1 tour , tous les votes s’annulent et c’est celui qui est à 50%+1 qui remporte le lot. Probablement la moins pire de solutions.

    Mais là où je veux en venir, c’est que si on augmente la fréquence (de 4 ans aux 4 minutes), on a un risque «d’épilepsie» pour notre «global brain», puisqu’il devra composer avec une multitude de choix aléatoires.

    Mais c’est peut-être aussi ma façon de voir qui est faussée. Je crois bien qu’il y a du monde qui a déjà réfléchi (et résolu peut-être) cette problématique (peur?).

    1. C’est drôle…je me doutais bien que tu me le mentionnerais en constatant mon oublie ce matin 😉

      tu as bien raison de le mentionner car La Chambre basse est exactement dans le sens du propos. Je « tweek » mon texte en conséquence…

      tu veux utiliser la méthode de la Chambre pour la manif? la gang du moratoire d’une génération est au courant??

  3. Le système majoritaire à 1 tour ÉTAIT peut-être le moins pire, mais il ne réponds clairement plus aux attentes et aux exigences de la gouvernance publique d’aujourd’hui. Les voteurs ne sont plus des analphabètes à peine éduquer au-delà de l’agriculture ou des professions physique. Dans une société du savoir et de la connection, il y a clairement une exigence à faire mieux qu’un système de « signaux » aux 4 ans qui repousse 40% des citoyens (taux de participation) ET se débarasse de 40% de ces signaux, grosso-modo (un député peut se faire élire avec 35-38%!!)

    Martin, je comprends qu’il y a un risque d’overload, mais tout comme notre cerveau qui produit des millions de calcules en un instant de temps, à travers cette quantité de signaux, une organisation se produit graduellement SI nous pouvons construire des mécanismes de gestion et d’aggrégation adéquat… pour produire des « signaux » plus complexes, que ce soit dans un rôle de conseil aux décideurs ou de prise de décision sur certains enjeux.

    Une ébauche de tels mécanismes vient de Vincent: http://chambrebasse.wikispaces.com/Modèle+formel

    Est-ce possible d’utiliser twitter de cette façon ? Peut-être, mais ce n’est pas moi qui pourra le dire.

    Vincent… c’est qui le philosophe/mathématicien français qui s’était penché sur la démocratie directe? Je sais que c’est toi qui m’avait refilé un de ses textes, que je ne trouve plus…

  4. Pas de doute que la société a changé de façon fondamentale depuis l’édification de nos institutions politiques. Et pas de doute que la dernière décénie a vue, au Québec, une désafection gradissante des citoyens. Désafection qui continue d’accélérer. Et paradoxalement, la dernière décénie a aussi vue, au Québec, une multiplication d’outils et de tribunes pour débattre de cette désafection. Multiplication qui continue d’accélérer. Les idéalistes veulent du changement. Les jeunes veulent du changement. Les citoyens veulent du changement. Les élus veulent du changement. Les gouvernants devront offrir du changement, car le changement s’en vient à eux.

    Ça nous prend des institutions repensées. Je suis adepte d’un certain nombre de réformes plutôt traditionnelles. Disons des solutions qui ont fait leurs preuves. Ajouter un élément proportionnel au mode de scrutin, établir des élection à date fixe, adopter une constitution, instaurer une loi d’initiative populaire et raffermir les pouvoirs du DGE sur le contrôle des dépenses électorales. Ce sont des réformes. Pas une révolution. Réparer certaines défaillances du système qui limitent ou découragent la participation citoyenne. Ces réformes m’apparaissent fondamentales en amont pour rendre le système plus poreux à la participation. Catch 22: le processus d’instauration des réformes doit intrinsèquement être participatif.

    J’ai voulu mettre la table pour ceci: je crois que la démocratie directe est impratiquable. J’apprécie le fait de déléguer, en temps normal, mon devoir de décision. Trois faiblesses intuitives de la démocratie directe: (1) La myopie. À l’été 2007, si on avait géré le budget du Québec par la démocratie directe, on aurait alloué une part largement disproportionnée au problème des algues bleues et une autre à la réfection de viaducs. Ces enjeux sont important mais, en perspective, pas autant qu’on pensait en 2007. (2) La question préalable. Permettre le vote (par internet) ne favorise pas nécessairement la délibération. C’est une question empirique. Je connais quelques administrateurs de forums web qui préfèrent ne pas intégrer un « bouton like », car ça diminuerait le nombre de commentaires. Mais au-delà de ça, un peu comme argumentait Malcolm Gladwell dans le NYer l’automne dernier, l’activisme et, je crois, la délibération sont favorisés par la proximité, le lien de confiance, la cohésion sur le terrain. En un mot: l’engagement. Pas sur un clic qui est trop souvent le fruit d’une réflexion superficielle et instantanée. Demander des votes à tous vents, de façon récurrente, ne peut qu’amplifier la supercialité du vote par la redondance, la routine et la perte de vue de l’importance relative des enjeux. Ce qui nous amène à la troisième faiblesse. (3) L’intérêt personnel (ou le manque d’arbitrage). Chacun s’intéresse aux dossiers qui le touchent directement, ou qui pour d’autres raisons piquent sa curiosité ou éveille un sentiment d’importance collective… Mais l’individu est limité. Au final, les enjeux sont débattus par ceux qui s’y intéressent. Ce qui est très bien puisque je viens de critiquer la prise de position superficielle. Cependant, je crois aussi que nombre de politiques (ou projets de société) ont des coûts concentrés et des bénéfices répartis. Les perdants sont souvents peu nombreux et très touchés. Les gagnants sont souvent très nombreux et moins touchés. Il est nécessaire d’avoir des citoyens dédiés (nos représentants) à temps plein à faire les arbitrages entre les intérêts, d’autres intérêts et le bien collectif. Et autres missions comme s’assurer d’une assistance à la minorité perdante. Je trouve sévère ton affirmation selon laquelle les politiciens ne délibèrent pas. Et si c’est le cas, il faut améliorer les délibérations, pas éliminer l’enceinte !

    Mais l’équilibre réside probablement dans ta phrase: « Pour reprendre ta question « gère-t-on une société à coup de «like»? « … la gérer, non (du moins, pas pour l’instant), mais en décider la direction ? Certainement ! ». Encore une fois, je persiste à croire que le Like ne conduit pas à la délibération. C’est orthogonal. Mais l’idée ici est de raffermir le lien et la communication entre le représentant et son patron citoyen. Instaurer une véritable imputabilité et un suivi. Beaucoup plus dense qu’un vote aux 4 ans. Et les réseaux sociaux et autres outils du web 2.0 (wikis, etc.) représentent des avenues incroyablement riches. Je ne m’y connais pas assez. J’ai une conception beaucoup trop floue de « l’organisme » que tu évoques. Les méchanismes d’aggrégation de signaux des citoyens me semblent pertinents « dans un rôle de conseil aux décideurs », mais peut-être dangereux pour la « prise de décision ». Je suis sympatique à l’idée que la capacité des personnes ayant le plus de ressources à faire plier le système ou l’utiliser pour en tirer des bénéfices privés dépend en grande partie de la complexité du système. La complexité est l’ennemie de la démocratie. Alors vous devrez nous trouver des méchanismes que les citoyens eux-même comprennent. Surtout si les méchanismes prétendent ensuite parler en leur nom…

    D’ici là, les réseaux sociaux s’imposent déjà comme une force qui raffermit le lien entre élus et citoyen. Nous devons institutionnaliser des mécanismes formels pour obliger les élus à écouter et prendre en compte les orientations collectives désirées par la collectivité. Mais le rôle particulier des réseaux sociaux devrait-t-il être institutionnalisé ?

    À propos du « Catch 22: le processus d’instauration des réformes doit intrinsèquement être participatif ». Je crois qu’un projet concret qui pourrait répondre à bien des espoirs de changement est l’organisation d’une grande assemblée constituante pour doter le Québec d’aujourd’hui d’une loi fondamentale. Les réseaux sociaux, wikis, mécanismes d’aggrégation et autres Chambre Basse, pourraient fournir des outils inouis dans la réalisation d’un tel projet pour assurer la contribution du plus large nombre de citoyens. À mi chemin entre la démarche islandaise et le G1000 belge. Mais toutes ce défrichage démocratique doit tout de même être finalisé, par des citoyens qui se rencontrent et, à terme, entériné lors d’une consultation populaire traditionnelle.

    Désolé pour le roman… c’est du brainstorming. 🙂

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